jeudi 1 juin 2023

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    Saly Mollon vit à Tournon en Ardèche.

    Peintre depuis 25 ans, elle a travaillé la terre.

    En 2010, elle organise le premier salon de sculpture de la région.

    Elle est une peintre et une dessinatrice au langage plastique riche et complet  mêlant  réalisme et abstraction.

     

     

     

    Sous la pluie

     

     

    Et bien dansez maintenant !

    Brusquement atteinte d’un cancer, elle puise, pour lutter, dans la force de son art. Une nouvelle série de toiles crie à ceux qui en ont bavé « Et bien, dansez maintenant ! »

    Elle nous dit sa joie de vivre: tonique, spontanée, joyeuse

    Elle arrive en France, enhardie par l’espérance que mettaient en elle ses parents. Brillante, seule fille de la fratrie, elle vient faire ses études.

    Son surnom « Saly » lui plait. Sa résonance est plus… internationale. Elle l’adopte.

    Les premières années tournonaises sont aussi douces que la soie sur laquelle elle peint. Pendant douze ans, Saly crée des modèles uniques. Elle aime cette part de hasard qui révèle les couleurs dans l’alchimie d’une étuve. « La soie ? Impossible de la dompter, il faut en jouer ». Mais elle éprouve le besoin d'un autre support; La guerre au Liban fait monter en elle une souffrance qu’elle ne peut mais veut exprimer. Le besoin d’un autre medium s’impose, plus pérenne.

    Le destin lui envoie un mentor en la personne de Raymonde Esprit-Massonneau, artiste-peintre parisienne dans la mouvance impressionniste, établie à Tain. Elle travaille avec elle pendant trois ans.

    Au Liban, une guerre s’achève…  Il faut briser ses peurs. Oser. Peindre Beyrouth, la dévastée. C’est « le » tournant : des toiles belles, fortes, commencent à jouer alors avec l’abstraction, jusqu’à s’y abandonner. La  Pléiade choisira même une toile pour la couverture d’un recueil de poésies « 100 Poèmes pour la paix au Liban ».

    Elle butine les enseignements de Sylvie Franc et de Réjane, en retire le suc qui fera son miel, papillonne aux côtés de ses pairs (le péruvien  Kawashima, la parisienne Michelle Taupin, l’élève de Philippe Lejeune Christophe Desbusshère, l’américain Franck Janca). À leur contact, sa vision de la peinture s’enrichit . Elle perfectionne sa propre technique, celle qui lui donnera le plus de liberté : marier l’huile exigeante et l’acrylique facile comme on marie le feu et l’eau: « Ce que l’une me donne l’autre ne me le donne pas et inversement » dit-elle... Chaque sujet est le fruit d’une longue réflexion mais il lui arrive souvent « de rêver ses toiles ». Suivent nécessairement des dessins préparatoires, asseyant la composition. Maitriser le dessin est une force. Saly en est consciente : « avant de prendre le prochain tournant, je me ressource et retourne au dessin. Quand on connait la technique, on est attiré par la technique. Ce n’est que parce qu’on la connait, qu’on peut s’en détacher, s’en échapper.  Sans dessin, on est limité. Le dessin me rassure »

    Oui, le  dessin est l’ami intime. Et lorsque tombe le verdict de la maladie, un cancer (Salwa n’aime pas tricher, refuse les euphémismes), elle abandonne pinceaux et chevalet mais fait du dessin le complice, le compagnon de son enfer. Elle noircit deux carnets, deux  « bouées pour ne pas couler, pour ne pas sans cesse solliciter les proches » et croque… les autres patients, leurs angoisses, les siennes, la douleur, l’attente, la honte, le besoin de hurler, de s’isoler dans sa coquille, de renoncer à se battre. « 

    Un livre, « Un bélier contre un crabe », en est né, tiré à 200 exemplaires : « Ce qui m’a aidée peut aider quelqu’un d’autre ». En cure à la Roche-Posay, elle est approchée pour une exposition dans le cadre des Journées du Ruban rose. Elle expose les œuvres originales qui serviront le livre et les toiles exécutées après sa guérison. C’est un succès. Quant au petit livre, il est à l’origine de confidences qui la bouleversent. Elle envisage dès lors un deuxième tome  « Chronologie d’une vie annoncée ».

    Aujourd’hui Salwa est revenue à tout ce qu’elle aime : « je jouis désormais de ce que m’offre la vie, j’en goûte chaque instant intensément».

     

     

     

     

     

    Souvenirs d'enfants


  • Commentaires

    1
    Samedi 7 Avril 2018 à 08:14
    LADY MARIANNE

    merci pour la biographie de cette artiste !!
    une renaissance cette guérison , elle connait la valeur d'une bonne santé---
    une femme à l'honneur double bravo -
    merci !
    bisous du samedi-

      2
      liedich
      Samedi 7 Avril 2018 à 08:21

      Bonjour, j'ai essayé  de trouver son livre  : bélier contre cancer Swally Mollon.... Impossible. On ne sait jamais, si tu peux m'aider... Douceur du jour Gazou de moi.

        3
        Samedi 7 Avril 2018 à 09:21
        Edmée De Xhavée

        J'aime assez le dynamisme du premier tableau que tu présentes... on le retrouve dans l'autre mais le thème m'attire moins... Et j'ai aussi apprécié découvrir la biographie de cette dame "qui en veut"! :)

         

        Bon week-end!!!

          4
          Samedi 7 Avril 2018 à 09:45
          lenaig boudig

          Ah mais oui, Gazou, il faut aimer la vie intensément, même sous la pluie ! J'aime beaucoup les deux tableaux que tu nous présentes et merci de m'avoir fait connaître Sally Mollon. Gros bisous.

            5
            Samedi 7 Avril 2018 à 09:52
            Azalaïs

            C'est vraiment très beau, on sent le désir de vivre qui tourbillonne dans ses tableaux! bon week-end

              6
              Samedi 7 Avril 2018 à 10:05
              covix

              Bonjour, 

              merci de ce partage, un parcours qui n'est pas de tout repos, ce combat aussi. J'aime bien ses oeuvres visité sur le net.

              Bonne journée

              Bises

                7
                Samedi 7 Avril 2018 à 14:12

                J'aime beaucoup plein de douceur bonne journée bisous

                  8
                  Samedi 7 Avril 2018 à 14:57

                  C'est une belle histoire, et cette femme nous offre de jolies toiles...

                    9
                    Samedi 7 Avril 2018 à 18:33
                    Kimcat

                    Après un cancer, on voit les choses autrement. On va plus à l'essentiel... C'est ce que j'ai fait...

                    Deux beaux tableaux.

                    Bises

                      10
                      Samedi 7 Avril 2018 à 18:46

                      ce crabe à blessé pas mal de personnes dans mon entourage, et si toutes n'ont pas eu les mêmes armes pour le vaincre que Saly Mollon, toutes ont gagné en profondeur le sens de la vie ...

                      amitié .

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                        Samedi 7 Avril 2018 à 20:37
                        AmandeDouce

                        "Aujourd’hui Salwa est revenue à tout ce qu’elle aime : « je jouis désormais de ce que m’offre la vie, j’en goûte chaque instant intensément». "

                        Et elle a complètement raison !

                          12
                          Samedi 7 Avril 2018 à 22:11
                          erato:

                          Un parcours difficile avec beaucoup de courage et de volonté. Ses oeuvres sont fortes et expressives.

                          J'aime sa philosophie finale, elle a bien raison.

                          Belle soirée Gazou

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                            Dimanche 8 Avril 2018 à 10:13

                            Et ses tableaux sont magnifiques... j'adore !

                            Merci pour le partage Gazou.

                            La vie est encore plus belle pour ceux qui réussissent à survivre.

                            Passe une douce journée.

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                              Dimanche 8 Avril 2018 à 11:52

                              Elle est la parfaite illustration de ce dicton "ce qui ne te tue pas te rend plus fort !"

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                                Dimanche 8 Avril 2018 à 21:09
                                durgalola

                                sa franchise avec cette maladie est entière et juste. Merci de nous en parler ; bises Gazou

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                                  Lundi 9 Avril 2018 à 21:42
                                  mamazerty

                                  je suis touchée par ses mots, son combat et aussi ce qu'elle dit d ela technique qu'il faut maitriser pour la dépasser...c'est profond

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                                    Lundi 9 Avril 2018 à 22:44
                                    [ Fabrice Parisy ]

                                    Merci Gazou pour ce moment passer en compagnie de Salwa "Saly" Mollon. La rage de vaincre, la fureur de vivre, aident sûrement plus qu'on ne le pense dans le combat contre la maladie. Elle a eu aussi son art, qui, c'est certain, l'a empêchée de sombrer. J'aime beaucoup les paradoxes qui se dégage de ses peintures, on y trouve un joli mariage de vif et de doux, de clair et de moins clair...

                                    Belle soirée.

                                    Fabrice

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                                      Dimanche 28 Avril 2019 à 00:08

                                      Bonsoir à toutes et à tous, bonsoir Gazou

                                      par un parfait hasard, j'ai découvert votre blog et je me suis trouvée ébahie devant le fait qu'on parle de moi. 

                                      Merci.

                                      Vos mots sont si chaleureux qu'ils me donnent des frissons. 

                                      Quoi vous dire ? Je suis encore en vie. Je continue à peindre. Je n'ai pas toujours le temps de tenir mon site à jour pour montrer mes dernières toiles mais peindre, reste ma priorité. 

                                      J'ai lu la semaine dernière cette phrase que je partage avec vous :

                                      "La vie est un rêve, traversée de temps à autre par un cauchemar. On le digère et le rêve recommence"

                                      merci à vous tous de m'avoir fait rêver ce soir. Merci Gazou de m'avoir mise à l'honneur. Quel privilège et quel cadeau !

                                      merci à vous tous. Cordialement, Salwa.

                                       

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                                        Dimanche 28 Avril 2019 à 00:09

                                        Erreur d'adresse mail corrigée. Merci 

                                          • gazou
                                            Vendredi 3 Mai 2019 à 09:09

                                            Votre commentaire m'a fait très plaisir. Je suis retournée voir votre site...Si vous faites une nouvelle exposition dans la région  (j'habite près de Crest), je serai heureuse d'aller la voir...Et continuez à peindre selon votre désir

                                      mercredi 22 février 2023

                                       


                                      Beyrouth l’Eternelle !
                                      Même dans les vapeurs grises de ton avenir incertain, tu continues à briller du haut de tes montagnes.
                                      La neige immaculée de tes sommets fait un clin d’œil au bleu de tes rivages pour que tu gardes le sourire.
                                      Beyrouth lève toi. Comme tu l’as toujours fait. Montre leur que renoncer n’est pas ta religion et encore moins mourir…
                                      Beyrouth, ma ville, mon écho, ma mère et mon sang. Tu coules dans mes veines, tu épouses ma peau. Comment faire pour m’envoler à nouveau loin de toi ?
                                      Mes larmes brûlent mon cœur et au fond de mes yeux j’imprime à jamais ton image.
                                      Prends soin de ceux que j’aime. Prends soin de toi.
                                      Beyrouth, attends moi, je reviens !

                                      vendredi 29 juillet 2022

                                       Un jour, un livre...



                                      La vie n'est pas un long fleuve tranquille. Ce livre devait naître comme moi  je devais me battre pour ma vie. On m'avait dit : " tu remercieras un jour ce cancer". J'ai hurlé NON ! mais aujourd'hui, je m'interroge.

                                      Un cahier de croquis m'a accompagné  pour "dire" quand je n'avais pas les mots et "peindre" mes sentiments quand je ne pouvais le faire. 


                                      Ces livres et ces notes étaient mes compagnons de route. ils n'étaient pas destinés à l'édition ni au public mais dans un but d'aider, si possible, autres personnes dans mon cas, j'ai accepté de les dévoiler avec une seule recommandation: NE JAMAIS BAISSER LES BRAS. 

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                                      Réponses aux témoignages reçus ...

                                      Voici quelques mots en réponses aux membres de ma famille dont les témoignages se trouvent  à la fin du livre:  "Chroniques". Témoignages bouleversants à la mesure de ce qu'ils ont pu vivre à mes cotés durant cette épreuve, disons plutôt durant notre tsunami. 

                                      " Mon Marwan, je viens pour la correction du second livre , relire ton témoignage. 

                                      Je prends la mesure de la difficulté, dans laquelle, tu as été pendant tout ce temps de mon combat.  Je ne peux pas te dire "excuse moi" puisque c'était une chose en dehors de ma volonté mais je peux te dire "Merci" d'avoir été là. D'avoir tenu le coup et d'avoir vaincu avec moi (et tous ensemble) cette saleté de crabe. 

                                       Aujourd'hui, je me sens bien. Je vais bien. Et je m'occupe surtout de mon couple pour goûter à chaque instant de la vie. Et je fais entièrement confiance à mes enfants dans leur projets de vie,  car je sais qu'ils sont fortement capable de les mener à bien et cela me rend heureuse. 

                                      Maxime,

                                       Ton témoignage qui est un mail envoyé à un de tes amis me touche profondément. Tu as vécu un des moments les plus durs de tous ce que j'ai vécu. Tu étais près de moi quand la douleur me faisait perdre la raison. A toi aussi, je peux demander pardon de t'avoir fait vivre un moment si terrible mais je ne pouvais pas faire semblant. aujourd'hui, je te dis "Merci". Merci d'avoir eu le courage de me soutenir, Merci d'avoir eu le courage de te relever de ce désespoir et de réagir en adulte responsable dont je suis si fière aujourd'hui. 

                                      Laetitia, 

                                      Je reste sans voix devant ton témoignage. Tu as résumé ta « traversée du désert » avec tant de justesse. Tu as mis du temps à renaître, petite chrysalide, mais tu as réussi à ouvrir des magnifiques ailes.

                                      Oui, nous avons souffert toutes les deux de cet accrochage mais y avait – il un autre moyen de faire ? Je ne sais pas.  Je pense que tu as fait surtout, ce que tu as pu pour « survivre », sortir ta tête de l’eau, respirer et « être » tout simplement.

                                      Tu as réussi. C’est très bien.

                                      Nos échanges aujourd’hui sont d’égale à égale. Je sens ta force et ta détermination à être l’adulte que tu es. Ce séisme n’a pas fait que du mal finalement,

                                      Je suis heureuse de voir la « femme » que tu es .


                                      Je voudrais vous dire, pour la peur que vous avez de me perdre. J'ai eu la même peur des années durant, de perdre mon père ou ma mère. Cette peur de l'enfant qui a "encore" besoin de sa maman, qui ne peut imaginer la vie sans elle. Aujourd'hui, l'âge fait que nos pensées se transforment. Je ne pense plus pareil.

                                       A mon terrible chagrin que je vais avoir en perdant Téta ou Mamé, je me dis que c'est dans l'ordre des choses et c'est bien ainsi.

                                      Jeddo est parti trop tôt. J'ai survécu à son départ, Téta , j'ai de la peine de la voir dépendante des autres, Son départ me sera une douleur effrayante mais si juste pour elle, n'est ce pas ?.

                                      Voilà, il y a des choses dans la vie qui arrivent dans un rythme universel, normal, qu'il faut accepter. La vie est faite ainsi. Alors pour l'instant, nous allons ENCORE être heureux ensemble et séparément. Nous allons aimer la vie tant qu'elle nous offre la possibilité de le faire. Soyons heureux de ce bonus. Je vous aime Très fort. Maman

                                      Didier, 

                                      grâce à toi, Je suis encore là. J’ai tiré ma force de l’amour que tu m’as donné. Ta souffrance était immense et ton courage l'était encore plus. Merci pour l'être que tu es, ne changes rien.

                                      Nous avons pris un coup dur sur la tête tous les deux, c’est vrai mais nous avons pu constater que notre endurance puisait ses forces dans l’amour de nos enfants dont nous pouvons être fiers, et de celui de notre famille.

                                       Je suis fière de vous tous. Je suis fière d’appartenir à cette grande famille. Je ne vous remercierai jamais assez.

                                      Mon homme, t’es le meilleur. Je t’aime.

                                      Salwa


                                      mercredi 12 janvier 2022

                                      TA DERNIÈRE "GARDE DE NUIT".

                                       6 aout 2017   

                                       TA DERNIÈRE "GARDE DE NUIT".

                                                                                          


                                      Mercredi 29 novembre 2014. Tu prends la route pour l’Hôpital de Saint Vallier pour la dernière fois. Tu as les yeux qui brillent. Tu as le sourire aux lèvres et point d’angoisse.
                                      - C’est ma dernière garde, tu te rends compte ?
                                      - Oui, je m’en rendais bien compte.
                                      Je te regarde dans les yeux, attendrie par ta spontanéité. Oui, je m’en rends bien compte surtout de l’absence d’inquiétude qui te prenait à la gorge à chaque fois qu’une nuit de Garde pointait son nez.

                                      Hier, ce n’est pas si loin !
                                      C’était hier, que nos nuits de Garde commençaient. On était jeunes. Nous n’avions pas encore trente ans. On avait peur et du courage à revendre. On voulait réussir.
                                      Tu étais au premier rang. J’étais juste derrière avec une promesse cachée au creux du ventre qui te disait : Je suis là. Je te soutiendrai. Tu peux compter sur moi.

                                      Les gardes défilaient les unes après les autres.
                                      Le mardi, entre midi et deux. Le mardi soir dès 20h jusqu’à 8h du matin. Ainsi, tous les mardi d’ailleurs. Nous ne pouvions prévoir aucune sortie, aucune invitation, aucune absence, le Mardi.
                                      Le Samedi. Le samedi aussi. Un samedi sur trois. Une fête sur trois. Sans compter le samedi matin, la matinée la plus chargée de la semaine à cause du Marché.
                                      Tu me disais, s’il m’arrivait de te demander de prendre "ton samedi matin" pour qu’on puisse partir un peu, que les gens profitaient de venir voir le Médecin en même temps qu’aller à la pharmacie et faire leur marché. Ahhh ce marché, ils emmenaient beaucoup de monde qui faisaient d’une pierre trois coups.

                                      Tu répondais aux appels, urgents, à n’importe quelle heure, du jour ou de la nuit.
                                      Tu quittais ton sommeil et abandonnais ton lit, qu’il fasse chaud ou froid, qu’il pleuve ou qu’il neige, c’était pareil.
                                      J’avais le téléphone tout près de moi. Il me sortait de mon sommeil en crevant le silence de la nuit. Je devais demander la raison de l’appel, noter le nom de la personne malade, son numéro de téléphone et son adresse exacte… et là c’était la galère… Beaucoup de personnes ne savaient donner d’explications correctes pour repérer leur maison au milieu de la nuit, dans le patelin, le hameau, le village ou le coin perdu du fin fond de notre belle campagne.

                                      Il n’y avait pas encore le téléphone portable. Eh non ! Nous nous sommes installés en Mars 1980. Certains patients n’avaient pas le téléphone fixe non plus.
                                       
                                      Il t’arrivait de revenir à la maison, vers trois ou quatre heure du matin, après une visite de nuit à domicile en ayant l’envie de te remettre rapidement au chaud dans ton lit, retrouver la chaleur de tes draps et le sommeil perdu, mais quelqu’un d’autre avait appelé entre temps et une autre visite t’attendait. Tu devais repartir.
                                      Tu râlais, tu pestais, comme si le ciel allait s’écrouler sur nos tête mais tu repartais quand même, courageux et résigné alors que je perdais le sommeil en priant qu’il ne t’arrive rien et que tu reviennes sain et sauf.
                                      Combien de fois j’ai perdu le sommeil en attendant ton retour, et combien de fois, en si longues années, j’ai été tirée de mon sommeil pour prendre en vitesse mon crayon posé sur une feuille près de mon lit pour noter les coordonnées du malade et le rassurer de ton arrivée au plus vite.

                                      On parlait à l’époque de la « Cibi » que les routards utilisaient dans leurs longs voyages. Alors, au cabinet, vous aviez trafiqué une mallette, jaune, métallique pour vous éviter de rebrousser chemin inutilement, comme tu le faisais souvent. Au retour dans ta voiture, tu entendais biper la boite jaune à travers les ondes. C’était ton cauchemar. Tu m’appelais pour me retirer de mon sommeil à nouveau. Ça grésillait, on n’entendait pas bien selon l’endroit où tu te trouvais. Je te transmettais les informations pour aller voir le malade suivant.
                                      Par la suite, la mallette s’est émancipée. Elle est devenue en Skye noir et toujours avec la forme d’une boite rectangulaire. Je la transportais avec moi dans toutes les pièces de la maison. Il ne fallait pas passer à coté d’un de tes appels. Ceci dit, elle biper très fort. Elle réveillait parfois les enfants qui ne dormaient pas loin, dans leur chambre.

                                      Une fois, pour une visite de nuit, On est venue à ta rencontre sur un tracteur au plein milieu de nulle part, sous la neige qui avait effacé toute traces du paysage. Une autre fois, un paysan a appelé à 6h du matin, un dimanche, pour prendre un RDV pour le lundi. Il ne comprenait pas pourquoi on ne pouvait le lui donner, « on était de grade », il disait, « non ? » Quand je lui est dit qu’il était 6h du matin, il m’a répondu que lui, était réveillé depuis 4h. !
                                      Te souviens tu de l’appel à 2h du matin d’une jeune fille qui souffrait d’un coup de soleil sur le dos ? Elle avait passé sa journée à se dorer la pilule, comme on dit, alors que toi, tu travaillais sans relâche. Elle était au CMU. Déranger le médecin, la nuit, ne lui coûtait rien.

                                      Les gardes étaient impitoyables. Que tu sois malade ou pas, il fallait les assurer. D’ailleurs, à force de côtoyer les malades tu nous ramenais les microbes à la maison et tu en récoltais au passage quelques uns qui te rendaient aussi malade que tes patients mais toi, tu ne t’arrêtais pas, tu ne partais pas en « arrêt maladie » pour te reposer. Il fallait continuer à soigner les autres.

                                      Il nous arrivait d’être à bout de nerfs durant un WE de garde où les appels n’en finissaient pas et la fatigue s’accumulait. Mais il fallait garder son calme, rester courtois, répondre poliment et prendre surtout les renseignements correctement. Un jour, j’ai perdu mon sang froid. Tu étais épuisé, un dimanche en fin de journée. Pour une raison que j’estimais banale, ne méritant pas le déplacement du médecin un dimanche après midi, j’ai conseillais au patient de se rendre au cabinet le lendemain, lundi, à 8h, pour la consultation. La personne m’a répondu : « Tant que je paye, il viendra » et ma réponse a fusé : Vous pouvez toujours payer mais vous allez aller voir ailleurs puisqu’il n’ira pas vous voir et je lui ai raccroché au nez.. J’étais en colère. Je commençais à réaliser que le médecin est devenu « à la merci » du patient et là, je me disais que les choses devait changer. Le médecin ne devait plus être au service du malade et devait se faire respecter. … Bon, c’était mon coup de sang à moi.

                                      Ah, il ne faut pas se rappeler que des mauvaises choses, il y en a aussi des bien agréables. Les farces que vous échangiez entre vous, médecins, au cabinet : Le Camembère qui chauffait sur le radiateur et embaumait fortement. Le litron de rouge ouvert sur le bureau, le seau d’eau en haut de la porte du bureau qui se déversait à peine la porte ouverte…
                                      Les années avec Madame Arnissole. La chère secrétaire qui prenait soin de vous tous.

                                      Je me rappelle aussi de la pose Café du samedi matin où à tour de rôle vous apportiez, à qui mieux, les meilleurs croissants.

                                      J’ai un tendre souvenir de nos premiers remplacements au Cabinet de Groupe. Nous habitions dans le petit studio au Rez-de-chaussée, coincé entre deux garages avec les WC sur le palier. Le premier, j’étais enceinte. J’allais à la piscine d’en face pour passer le temps. Le second on avait notre fille, nouveau née, et pas beaucoup d’espoir de pouvoir s’installer dans le coin alors que la région me plaisait beaucoup par son climat, ses fruits et son fleuve. Venant d’un pays de soleil, ces trois ingrédients m’étaient indispensables : Soleil-Eau et fruits mais tu me répétais sans cesse : « ne te fais pas d’illusions, nous ne pourrons pas s’y installer, c’est une question de déontologie ». et nous voilà, 39 ans après toujours à Tain –Tournon.

                                         Tu as vu naître des petits, tu as soigné des personnes âgées, tu as rabiboché des couples en perdition et pris soin d’autres cabossés par la maladie. Tu as écouté des plaintes, séché des larmes. Tu as aidé à faire naître des espoirs et encouragé des indécis. Tu as vu passer dans ton bureau durant ces années, un nombre incalculable de patient que certains reviennent aujourd’hui pour juste te dire « merci »

                                         Merci pour le médecin qui les a soigné, l’oreille qui a su les écouter, l’être qui a su les entendre, la personne qui a su les consoler, les aider, les encourager, et n’ayant pas peur des mots…les aimer.
                                      Oui, tu as aimé tes patients. Je le sais puisque tu emportais leurs soucis avec toi en rentrant à la maison. Je le voyais sur ton visage soucieux, sur ton comportement nerveux et ton silence.
                                      Aujourd’hui, je te vois partagé entre ta joie de vivre une nouvelle vie d’artiste, entre musique et sculpture et la tristesse de quitter ton cabinet, tes « malades » et la relation que tu as tissé avec eux pendant toutes ces années. Je vois ce dilemme se dessiner jour après jour mais connaissant l’homme que tu es je sais que tu réussiras ta vie de retraité comme tu as réussi celle du médecin. D’ailleurs, comme tu me l’as toujours répété, ce sont les deux choses que tu voulais faire depuis l’âge de 6ans. Alors nous y voilà mon Didier. Il est temps que tu profites de ta deuxième vie : être un Artiste !


                                      Bonne nouvelle vie mon homme.                       / Salwa /




                                            




                                      dimanche 9 janvier 2022

                                      JE M'APPELLE RACINE...

                                                                     

                                      Je m’appelle «  RACINE » 9 janvier 2022.

                                      « Je suis né orphelin et je mourrai orphelin ».
                                      Je le regarde… je ne comprends pas !
                                      Devant moi, un homme  de 91 ans. Frêle, élégant, un restant de beauté sur son visage et le raffinement dans ses gestes. Ses paroles sont quelque peu saccadées, comme ses gestes et ses poignées de mains qui enveloppent mes mains avec une appréhension et une envie d’un temps qui n’avancerait plus.


                                      Il était arrivé enveloppé d’un imperméable beige, serré à la taille. Manifestement trop grand pour sa silhouette amaigri.  Il tremblait légèrement, tenant à la main la carte postale et le mot qui l’accompagnait que je lui avais adressé huit jours plus tôt. 
                                      Il me cherchait dans les couloirs où se déroulait un grand salon d’Art Contemporain. Il avançait, fébrile, le regard projeté partout à  la fois. Il avançait précédé par sa joie de me rencontrer et sa crainte de ne pas me trouver. Il pointait ma carte vers les passants en prononçant mon nom. Ma collègue pensait m’amener  l’« Acheteur » avec un grand A, tant attendu, d’une de mes toiles. Elle l’a guidé vers moi avec un sourire triomphale et le voilà poussant un cri de joie en s’approchant de moi.
                                      - Hooo , Vous voilà !  J’avais peur de ne pas vous trouver. C’est tellement grand ici et vous avez changé de place je crois, n’est ce pas ? Je peux vous embrasser ?


                                      Je l’ai emmené vers un siège où nous nous sommes assis cote à cote. Mes mains dans les siennes et le flot de remerciements de lui avoir envoyé une invitation ne tarissaient pas.
                                      Il paraissait heureux et j’étais touchée quoi qu’il n’ait pas eu un seul regard sur ma peinture. 
                                      Il voulait me faire plaisir. Il tenait à me recevoir, à m’offrir un repas. Il insistait pour que j’accepte de diner avec lui.
                                      - Qu’est ce qui vous ferait plaisir ? Du rôti, un poisson, Vous connaissez le Féra ? Un poisson du Lac. 
                                      - Non.
                                      - Je vous ferai cela alors. Vous viendriez quand ? Quand vous voulez. Faites le moi savoir, Dites moi ce qui vous convient, c’est tout. 
                                      - Nous pouvons prendre un café si vous voulez. Ici, au Bar du Salon. 
                                      - Non, non, je voudrais vous faire à manger. Préparer quelque chose pour vous. Quand vous voulez. Réfléchissez et passez me le dire en rentrant. Je suis toujours chez moi à partir de 18h, je ne sors plus. À dix heure je vais faire un tour. Je marche une heure, tous les jours,  mais je ne sors jamais après dix huit heure. Bon c’est d’accord alors, vous passerez me le dire ?
                                      - D’accord. Je vous tiens au courant.


                                      Il est reparti en serrant ma carte et mon mot dans sa poche. Baissant la tête, le dos courbé et le pas tremblant. Il paraissait heureux. Son sourire éclairait son visage d’un bel espoir. Il n’a pas jeté un regard sur mes peintures.



                                      - Alors ? Alors ?
                                      Mes copains m’interrogent sur la scellé d’une vente, la promesse d’un achat en vue, ou ? 
                                      Non, rien de tout cela mais une invitation à dîner.
                                      - Comment ? Ce n’est pas possible ! T’es sérieuse là ? 
                                      Cela fait dix ans que nous exposons dans ce Salon et personne ne nous a jamais invité à quoi que ce soit. C’est incroyable. Comment  se fait-il ?


                                      Je souris. 
                                      - Je ne sais pas.
                                       Je lui ai juste envoyé une invitation pour le remercier de son aide de l’année dernière. Il va me faire du poisson du Lac. 
                                      - Oh laaaa !  Tu es sure qu’il va te faire juste du poisson et il a rien d’autres dans la tête ? 
                                      - Ahhh, arrêtez. Il arrive à peine à se mouvoir. Il est si âgé, vous le voyez bien. 
                                      - Méfie toi quand même. On ne sait jamais. Après tout, il est seul. Il risque de te sauter dessus. 
                                      Les rires continuent et emplissent notre espace.
                                      Au diner, le soir, Les rires fusent à nouveau dans le groupe. Chacun va de son imagination et chacun raconte un bout d’histoire incongrue qu’il a vécu un jour dans sa vie. Moi, j’étais confiante mais perplexe. Gênée de laisser le groupe, un soir, pour dîner avec quelqu’un que je ne connaissais pas. Juste pour lui faire plaisir.  
                                      Fais attention, Ils connaissent bien les pilules bleues par ici.
                                      il vit seul ? il n’a pas de femme ? fais gaffe.
                                      Il va te mettre de la musique douce, un diner aux chandelles, et hop…quelque chose de suspect dans ton verre. À ta place je ne boirais pas.
                                      Mais je vais lui apporter une bouteille de Blanc, c’est bien avec le Fera. 
                                      Ne bois que ça alors. Tu l’as lui fait ouvrir devant toi. 
                                      Mais arrêtezzzz, Je vous dis qu’il peut à peine marcher.
                                      On t’aura averti.
                                      Vous me faites trop peur maintenant. Bon, si je ne suis pas rentrée à 23h, vous venez me chercher, d’accord ? promis ?
                                      Les heures passe et le diner avec les copains gentiment envieux de la perspective de mon diner en tête à tête avec le voisin du dessous s’étire en longueur. Cela nous rend gais et joyeux.  Alors je fais le choix d’une bonne bouteille de vin blanc à lui porter le lendemain pour accompagner le poisson. 

                                      La lumière est magnifique sur le lac. Je pense au poisson que je vais manger ce soir. Est il été pêché vraiment ici ? Il va falloir que je mange léger ce midi pour bien l’apprécier.



                                                La journée est longue à attendre « le » prétendu Amateur d’Arts qui va craquer devant une de mes toiles et sortir son carnet de chèque. 
                                      Les visiteurs arrivent par vague. Un vrai accordéon. Soit il n’y a personne soit ils se pressent en avançant à pas lent entre les œuvres d’art exposées sur tous les stands. 


                                                J’ai du mal à interpeler celui qui s’attarderait devant une de mes peintures.  Je ne sais pas quoi lui dire. Comment l’aborder sans qu’il ne se sente agressé. Comment lui dire que ma peinture est la plus belle de tout le Salon ? Non, je plaisante ! Qu’il ferait une affaire en investissant sur mon travail. Non, je plaisante encore ! Que s’il n’achète pas une de mes œuvres, il passera à coté de l’unique occasion de sa vie. Ho, laaa on peut bien plaisanter, non ? Bon ! Mais voilà, cette attente, pour voir un regard décidé, un éclat dans les yeux, un élan d’émotion qui  pousse à  chercher le créateur de cette « magnifique toile » pour lui dire tout ce qu’elle suscite en lui,  tarde à venir.  L’endroit où il la voit dans sa maison. Le plaisir qu’il va avoir à la regarder tous les jours... Non, rien ! C’est vraiment désolant et pourtant, les admirateurs ne manquent pas. Les éloges sont des tonnes, les photos prises de mes tableaux, n’en parlons pas, il y a de quoi remplir plusieurs tiroirs mais pas d’acquéreurs.


                                                   Dix jours d’expatriation pour cinq jours d’exposition. C’est une fête ! Une promesse secrète au fond du cœur de voir partir une de mes peintures vers une nouvelle demeure. Vers le foyer qui va l’aimer autant que moi. 
                                      Dix jours plus tôt, Tout se bousculait dans ma tête déjà, La fièvre montait et je m’activais à ressortir les listes de mes précédentes expositions pour déterminer le choix de celle ci.  Je me demandais quelle œuvre allait avoir la chance de partir à l’étranger ? Quelle toile va bien aller avec telle autre ? Quel thème j’allais pouvoir montrer et comment je devrais rester dans une harmonie qui parle au public ? 
                                      Toutes ces questions se sont bousculées dans une excitation sourde enveloppée d’un sentiment de peur d’être déçue à la fin de la course. 
                                      Le choix n’a pas été  facile à faire entre des grandes toiles qui pouvait impressionner mais risquaient de ne pas trouver d’acquéreur, vue les appartements de petites tailles que nous construisons actuellement et les petites toiles, plus facile à placer, Ou même des moyennes mais ne fallait-il pas avoir une unité avant tout ? Bref,
                                      Devant ce dilemme, J’avais commencé à avoir des cheveux blancs, moi qui n’arrive pas à peindre en noir et blanc ! Alors j’avais fait le choix de laisser reposer tout ça jusqu’au lendemain.


                                      Au Salon, en pensant à tout ça, je souris. C’est un moment de solitude. J’entends les clients du restaurant rire et trinquer le cristal de leur verre à pied. Les bonnes odeurs de viande grillée et de café chaud. Je pense à mon repas de ce soir, le poisson du Lac…comment il s’appelle déjà ? je ne me rappelle plus. Ce sera une de mes questions ce soir quand je ne saurais quoi dire. En attendant, je fais les cents pas en espérant entendre jaillir le cri d’admiration du futur acheteur devant l’une de mes toiles. Gardons espoir chère madame !


                                                 Mon esprit vagabonde à nouveau… 
                                      - Ça y est. Le choix est arrêté. Je n’emporterai pas plus de 13 toiles cette fois ci. 
                                      - Euuh … Treize, tu es sure ?
                                      - Bein non, Quatorze alors ! C’est parti pour quatorze. 
                                      - Est ce que toutes les toiles sont photographiées ? Et les dimensions, tu les as toutes notées ? Vérifie quand même qu’elles soient toutes signées parce que je te connais, tu oublies toujours de signer tes toiles alors je suis obligé de te le rappeler. 
                                      - Bon, bon, je vérifie. Merci.


                                               Nous devions passer la Douane des deux pays. Déclarer notre 
                                      «  marchandise ». La liste en trois exemplaires était prête : Photo de l’œuvre- numéro- titre- technique- dimensions et prix. C’est un travail laborieux, casse –tête mais obligatoire. Moi, j’aime plutôt peindre au lieu de m’occuper de ce coté fastidieux.
                                      Je devais aller retrouver Anny le lendemain matin pour faire la déclaration de Douane sur le Net. Il fallait décrire toutes les pièces et préciser leurs poids avec et sans emballage. Il fallait déclarer les prix, les dimensions….etc . Anny sait très bien le faire alors je la laisse volontiers s’en occuper. C’est une chance pour moi.


                                             Partir huit jours, mon homme allait devoir se débrouiller tout seul. Il a l’habitude maintenant depuis le temps que je le laissais seul pour retourner voir ma famille. La différence cette fois ci c’est qu’il n’allait pas avoir le stress du travail et l’angoisse de tout vouloir faire vite. Il est à la retraite depuis peu. 
                                            Ce matin, Je devais me faire belle, si j’ose m’exprimer ainsi. j’ai mis ma petite robe noire à pois blancs. Comme pour le reste, il fallait faire un choix pour la garde robe. Oh le casse tête. Je me vois encore sortir les vêtements de l’armoire et les étaler sur le lit.  « the Question » : Que vais je mettre dans ma valise ? 
                                      Je devais penser à tout. Absolument tout. Ne rien oublier. D’accord, d’accord, c’est un peu maniaque de penser comme ça mais la vérité c’est que je suis obligée de tout prévoir : la chemise de nuit, les sous vêtements, les pantoufles, la tenue de bricolage pour la mise en place et le décrochage qui demande beaucoup de manutention. Ce ne serait pas  le moment idéal pour le paraitre. Mais à coté de cela il faut penser aux tenues « classe » pour chaque jour de la semaine, sans oublier la soirée du Vernissage. 
                                      Dire que je n’aime pas m’habiller serait mentir,  j’adore ça !  Mais c’est plutôt que j’ai l’impression de faire « vitrine » pour attirer les acheteurs et cela m’ insuporte au plus haut point. Bon, allez, ce n’est pas grave. Il faut que je prenne sur moi et pense plutôt aux bons moments que je vais passer avec mes copains. Alex n’est pas de cet avis, elle pense que nous sommes là « pour vendre, m.. » On investi financièrement dans ce Salon pour avoir un retour positif, « nous ne sommes pas là pour des vacances !»… Elle a surement raison. Je dois m’y faire.
                                      Donc, retour à la valise, 
                                      La valise s’avérait trop petite. Je poussais d’un coté et ça ressortait de l’autre. Bhouuuu ! Je ne pouvais pas tout mettre si je voulais me changer tous les jours pour une nouvelle tenue.  En plus de tous les indispensables à mon hygiène moral et physique : Mon ordi portable, mes crayons et mes carnets de croquis, un bouquin pour passer le temps si nécessaire, mes affaires de maquillage et, et, et, Bon. J’ai dû me résoudre à changer de valise. Je suis passée à la taille au dessus. J’espérais que Michelle allait avoir de la place dans sa camionnette et que je n’allais pas me sentir honteuse de trimbaler une « maison »sur le dos.
                                       
                                            Ma petite robe d’aujourd’hui me plait bien. Pauline a un joli chapeau. Elle est très coquette Pauline. Là voilà s'affairer à confectionner un joli serre tête pour Mini-pousse en papier crépon. 
                                      Tu ne voudrais pas m’en faire un aussi stp ? je voudrais jouer à l’ « Artiste » décalée…il paraît que c’est « porteur » comme ils disent. 
                                      Pauline s’inspire des couleurs de mes toiles. Elle me couronne d’un magnifique papier crépon couleur alizarine et rose bonbon. Michelle me met en boite et la photo ira plus tard sur mon réseau social. Un peu de pub ne fait pas de mal. 
                                      Je me sens jolie, c’est important pour le moral. 
                                       


                                      L’heure du repas a sonné. J’ai un petit creux. 
                                      Anny a trouvé une belle formule pour notre séjour. Chacun doit prendre à sa charge de préparer un repas pour tout le groupe. Ce midi, c’est le tour de Fernando. À l’heure qu’il est, ça doit sentir bien bon dans l’appartement. Rien qu’à y penser, le petit creux devient grand. 


                                      Je savais que pour ma part, mes petits plats sont attendus et surtout mes gâteaux.  Là aussi, il m’a fallut deux glacières pour ne rien manquer de mes ingrédients. J’avoue que le plaisir de vivre ces instants de convivialité prime sur tout le tracas. Alors, j’avais dressé ma liste de Menu. : Entrée- Plat- Dessert… J’avais calculé les quantités, acheté les produits nécessaires … il fallait surtout ne rien oublier. 
                                      Pauline ne mange pas de viande, alors que fallait il faire ? J’aime les bons plats que Pauline nous prépare à chaque fois et j’aimerais lui faire plaisir avec quelque chose qu’elle apprécierait et qui ferait plaisir aux autres en même temps. Alors, j’avais repris le menu à nouveau : Entrée- Plat- Dessert…
                                      Une soupe ? Pour le soir, c’est bien, non ? Oui, mais quelle soupe ? J’avais fait une soupe de lentilles corail la dernière fois qui a beaucoup plu, je ne vais pas recommencer. 
                                      Soupe au potimarron alors, à ma façon. Je suis sure qu’elle aura du succès. 
                                      J’aime cuisiner. J’invente mes plats comme j’invente mes peintures. J’accorde les couleurs et les saveurs, je mélange les épices et je crée des recettes inédites que parfois je n’arrive pas à refaire mais peu importe. Je me régale à faire et c’est le plus important. Alors, partons pour la soupe orange, saupoudrée de ciselures de ciboulette verte sur lesquelles j’ajouterai un filet blanc de crème fraîche et quelques points noirs de poivre moulu à la dernière minute. 
                                            Pas de viande. Une Tarte à la Brandade de Morue couverte d’une couche de poivrons rouges qui, en grillant à la surface laisseront couler leur jus sucré et légèrement pimenté. C’est bon et facile à faire. 
                                            Et pour Pauline, une tarte aux fromage. J’achèterais les oeufs sur place. 
                                       J’amènerai aussi quelques fromages de chèvres pures Ardèche. Du bon vin et, et mes Baklawa. Ce sera la cerise sur le gâteau. Ah, en parlant de cerises, j’amènerai aussi de la confiture pour le petit déjeuner avec le beurre, le lait et le café. Peut être aussi du chocolat. Oh mon Dieu, j’avais l’impression de partir pour un mois. Pfff. 


                                             
                                           Le repas de Fernando était délicieux. Un petit intermède dans la journée longue, longue à attendre et voir passer les « amateurs » d’arts, qui passent et repassent sans se décider. 
                                      J’ai croisé Fernando chez Anny la semaine dernière. 
                                      On se bouscule chez Anny. Un artiste après l’autre. Nous étions quatre ce matin là. Chacun avec sa liste à la main tel des enfants à l’école devant leur professeur. Nous devions rien oublier. Enoncer clairement et noter scrupuleusement toutes nos pièces. Anny connaît maintenant la procédure. Devant son clavier, elle garde toujours le sourire. Son regard et le ciel dans ses yeux la rendent lumineuse. Elle note les références, tape les poids et les prix et après quelques cliques, elle nous tient le laisser-passer qui nous permet d’entamer tranquillement la suite de la procédure à la Douane. 


                                          La faim se fait sentir. Mon estomac me rappelle le bon poisson qui m’attend pour le dîner de ce soir. 
                                      Nous fermons notre stand et joyeusement pour ne pas dire bruyamment, nous rentrons tous ensemble à l’appartement. On me taquine, on me rappelle le privilège qui m’attend ce soir sans oublier quelques recommandations à suivre pour ma sauvegarde devant mon nonagénaire. 


                                          Ma bouteille de vin blanc à la main et un choix de quelques reproductions de mes toiles en cartes postales,  je descend quelque peu curieuse et perplexe à l’étage en dessous. Au premier frôlement de la porte, elle s’ouvre sur un homme joyeux et pétillant qui me prend par le coude et me fait entrer dans son logis. 
                                         Un intérieur ordonné en camaïeux de beige où tout est en place. Rien ne dépasse. Quelque peu sous éclairé à mon goût ou si on veut, dans une lumière tamisée. 
                                         Mon hôte est heureux de me recevoir et il me le fait savoir. Il sautille d’un lieu à l’autre pour exprimer sa joie de me voir chez lui. Il débouche une bouteille de Cognac de 20 ans d’âge pour fêter ma venue. Il m’invite à visiter son appartement, pièce après pièce. Je note au passage qu’il commence par la chambre à coucher dans laquelle il s’attarde à me vanter la beauté de sa décoration, les toiles qui s’y trouvent et les emplacements judicieux des miroirs. Gloups… oui, oui, n’est ce pas ?!  j’évite la question qui me brûle les lèvres et  me dirige vers la porte qui mène au salon. 
                                          Bizare… je me dis bizare !  tout cela ne sent pas bon alors que je ne sens toujours pas l’odeur du poisson.  Est ce que le poisson du Lac a la particularité  de ne pas embaumer une maison ? voilà une question qui se pose mais je ne la pose pas en attendant de voir le reste de l’appartement. 
                                         Surprise ! la cuisine est minuscule. Un petit couloir  bien aménagé et surtout très bien rangé lui aussi. Pas de vaisselles qui trainent dans l’évier, pas de casserole sur le plan de travail, pas de baguette de pain qui attend d’être débitée. Rien ne présage un futur repas alors que l’heure tourne et mon estomac crie. 
                                      Je me tourne et je cherche des yeux la table de la salle à manger. Rien à l’horizon ! 


                                         Pendant ce temps, mes copains s’amusent, Les rires fusent et les histoires de l’Art circulent entre les convives. Tous se demandent comment ma personne passe la soirée à l’étage en dessous. Le vin doit être bon, le repas doit être succulent et l'ambiance  au beau fixe. Tout le monde attend le retour de l'heureuse invitée.


                                         J'apprécie la boisson ambrée que je déguste lentement.  Je n'ai pas l'habitude de boire.  J'attends le poisson du Lac et je m'interroge : L’a t-il cuisiné lui même? A t-il acheté le repas chez le traiteur ? Qu'a t-il choisi pour le dessert ? 


                                          L’ échange va bon train. Il s’approche plus près contre moi, je m'éloigne. Il met sa main sur ma cuisse , je me lève, il me retient.
                                         - non, asseyez vous. ne vous éloignez pas. On est bien comme ça. Vous ne craignez rien.
                                      Oui, manifestement je ne crains rien mais je le sens pressant et mes poils se hérissent.
                                      Je perds mes moyens. Devant moi, un homme de plus de 90 ans. prêt à tout pour me faire plaisir. Veut -il se faire plaisir au passage et qu’a t-il dans sa tête? 
                                      Je ne sais plus comment me comporter. Qu’attend t-il de moi?

                                          Mon hôte me raconte sa vie, ses exploits et ses moments de gloire avec ses employés. Il a dû occuper un haut poste dans l'industrie et les coupures de journaux en témoignent.  Le voilà faire la une d'un quotidien qu'il me dévoile avec fierté.
                                          Une tendresse me traverse le coeur d'être témoin de la sorte de la revue de toute une vie. Une vie qui s'avère heureuse et malheureuse. Un poste au sommet de la gloire et une chute qui nécessite des sacrifices où il a perdu une grosse part de sa fortune. Il raconte son ascension comme une vengeance sur le sort qui lui a été réservé enfant. 
                                      Abandonné à la naissance et jamais adopté malgré la promesse d'une famille d'accueil. Il a galéré toute sa vie . Souffert d'un grand manque d'affection. Enfant de l'assistance public, Il s'endormait le soir , les larmes pleins les yeux. 
                                      Il me précise: "de toute mon enfance et adolescence, je n'ai jamais reçu une caresse "

                                      Longtemps il a cherché sa famille biologique et cherché à comprendre la raison de son abandon.
                                      Têtu et perspicace, Ses recherches l’ont amené à la table de ses frères et soeurs. Ils n’ont rien trouvé à lui dire et il n’a pas trouvé sa place parmi eux. L’accueil de ses parents biologiques lui a paru très loin de ce qu’il espérait alors il est reparti comme il était venu. Sa présence était de trop.

                                      Son regard s’éloigne dans le vague. Il me semble porter encore en lui le goût de la souffrance et de la déception. 
                                              -   Longtemps je les ai cherché. 
                                      et comme pour se pardonner il rajoute:
                                              -  Après, je les ai beaucoup aidé. Maintenant je ne les vois plus.

                                           Un voile passe dans ses yeux , le reflet d’une rage amère et une frustration qui parait l’avoir poussé à grimper dans l’échelle sociale sans faire attention à sa propre famille au point où le jour du décès de sa femme, ses enfants lui on fait une scène et l’on quitté sans se retourner. Depuis, il ne les a pas revu me dit-il. 
                                      La phrase qu’il m’a dite à notre première rencontre raisonne à nouveau et prend tout son sens en moi. Elle s’abat comme un coup de sabre fendant les ténèbres : « je suis né orphelin et je mourrai orphelin »

                                      Un mélange de tristesse et de déception couvre sa voix. Il se défend en précisant avoir offert une voiture de sport à sa fille le jour de ses dix huit ans et autre chose, dont je ne me souviens plus d’équivalent à son fils. Il me dit les avoir toujours gâté, qu’ils ne manquaient de rien mais je finis par comprendre ce qu’ils lui reprochaient : Il n’était jamais là ! À l’enterrement de leur mère ils ont préféré lui dire adieu. 

                                           Le voilà fébrile. Les yeux dans le vague. Il se reprend rapidement et me déclare être heureux de me connaître. Plouf … On se réveille. Dure dure de revenir au moment présent. 
                                             Monsieur Racine a des projets.  Heureux de tenir mes cartes postales dans les mains me déclare avoir parlé à son médecin de notre rencontre. Je secoue la tête. J’essaye de comprendre le pourquoi du comment et le voilà à mi-mots me précisant que son médecin lui a soufflé les idées nécessaires pour contenter une femme, même à son âge. Et nous voilà arrivés… ! Alléluia,  la chute est brutale mais,  il est où ce poisson ? la tête me tourne et j’ai faim !
                                       
                                              Bien, bien, bien… il va falloir partir maintenant. Les copains m’attendent et manifestement le poisson n’est toujours pas pêché et il file toujours dans le Lac. 
                                      Je me lève pour partir. Il est tard. 
                                      - On va se revoir ?
                                      - Euhhh oui ! venez au Salon demain si vous voulez. 
                                      Mon estomac me rappelle à son beau souvenir. Il est vingt trois heures et je me demande si mes copains ont eu la mauvaise idée de fermer la porte à clef.

                                             Il prend mes mains dans les siennes. Il les serre chaleureusement avec la promesse de se revoir. 
                                            -     je peux vous embrasser ?
                                      Je suis bouleversée. Je ne sais plus où j’habite. Toute cette histoire invraisemblable me donne le tournis .

                                               La porte se referme derrière moi. J’ai le vertige. Je me demande comment une simple invitation à un Salon d’Art peut mener à une telle ambiguïté ?
                                      J’ai envie de rire et j’ai envie de pleurer mais en attendant j’ai l’estomac vide et qui réclame à coeur et à cris.
                                      J’ouvre lentement la porte d’entrée, ouf, elle n’est pas fermée à clef. J’espère qu’ils n’ont pas tout mangé et qu’il me reste de quoi calmer ma faim. 
                                      À peine ma tête apparaissait dans l’embrasure de la porte que les voilà tous m’interpeler et m’accueillir comme une revenante d’un autre monde. 
                                         -     Alors ! raconte . Il ne t’a pas sauté dessus ?. 
                                         -     Vous avez bien mangé ?
                                         -     C’était comment ce poisson ? 
                                         -     Il sait bien cuisiner au moins ?
                                         -     Et le Vin, ça allait ? 
                                      Doucement, doucement, s’il vous plait. Il ne reste rien à manger ?
                                       Tout le monde éclate de rire. Tous ébahis, Comment ?  
                                         -     Mais comment,  Tu n’as rien mangé ? Raconte …
                                         -     Je crois qu’il a oublié le repas. 
                                      Ma phrase tombe à plat. Tous me regardent et un ange passe… L’appartement tremble de l’écho de leurs rires qui éclatent dans la nuit. Chuuut !. Chut, On va réveiller les voisins.  On me chahute, on me demande des explications, on fait des commentaires et leur rires me laissent confuse.  C'est rien à y comprendre. 
                                      Que puis je expliquer ? Rien.
                                      Que puis je raconter ? Rien.
                                      Que puis je justifier de toute cette histoire ? Rien non plus. 
                                      Je mange un morceau dans la bonne humeur générale et chacun à son tour se retire pour la nuit. Demain est une journée de labeur. 

                                      Dans mon lit, je tourne cette histoire dans ma tête mainte et mainte fois à m’empêcher de dormir. Comment ne pas blesser cet homme ?
                                       Il m’a promis de m’écrire. 

                                                   Le Salon d’Art ferme ses portes et l’heure du retour a sonné. 
                                      Nous emballons nos oeuvres. Toiles peintes et Sculptures trouvent leur place à bord du camion. Les au-revoir et les promesses de nouvelles retrouvailles  nous précèdent. La route sera un peu longue avec un pincement au coeur.  

                                           Le mois de novembre tire à sa fin. Les souvenirs du Salon d’Art s’évaporent tout doucement.  Je reprends mes pinceaux, mes séances de modèle vivant et mon univers qui embaume la térébenthine.  Je cours derrière un accord de couleurs, la justesse d’une courbe, ou la pertinence d’une ombre. La lumière baisse, c’est bientôt la fin de l’année. Je commence à préparer les surprises de Noel. 

                                           Les surprises ? Parlons en. En voilà une de taille !
                                      Alors que j’ai déjà rangé le souvenir du dernier Salon d’ Exposition dans les tiroirs ainsi que ses tribulations, une lettre m’arrive par la poste ce matin. Adressée à Madame… , effectivement, je suis mariée et j’ai trois enfants mais m’a t-on demandé ma situation sociale, mes goûts, mes préférences et ce que je souhaite avoir ? Non, pas vraiment.
                                          Mon époux me tend la lettre avec un regard interrogateur. Je palpe l’enveloppe de couleur bleu ciel. Je la tourne pour scruter le nom de l’expéditeur. 
                                      Hooo, juste ciel. Monsieur Racine ! 
                                      Je souris. Avec un regard rassurant, je précise que c’est la fin de l’année et les cartes de vœux vont commencer à arriver. 
                                      Je termine mon travail avant de me consacrer à mon courrier. La lettre bleue de monsieur Racine est bien en vue. Les souvenirs me reviennent en vrac. Ils ne sont pas si loin à vrai dire. Il suffit de gratter un peu. 
                                      C’est touchant, je pense, et gentil de sa part de me souhaiter la bonne année. 
                                      Mes yeux parcourent une écriture soignée. Des lignes parfaites. Des sentiments qui se déversent avec une grande attente d’un retour rapide. Tout respire l’homme qui attend, qui espère, qui s’attache et qui est prêt à tout pour un rendez–vous : 
                                      « Se retrouver à mi chemin ». « Faire quatre vingt dix kilomètres chacun de son coté pour se retrouver ». « je suis prêt à tout »… 
                                      Plongée dans les lignes de ces pages bleues, je suis hors du temps. Abasourdie. Les feuilles me brûlent le cœur. Comment faire ? Je tourne et retourne la situation dans ma tête et je reste perchée au delà d’une possible compréhension.
                                        Rien dans mon attitude n’a laissé place à un quelconque malentendu. Je ne peux être le substitut d’une famille absente ou le nouveau terreau pour  un enracinement possible. 
                                      Comment répondre à cette phrase qui résonne à nouveau dans ma tête sans oublier qu’elle a été dite par un dénommé Monsieur Racine: « Je suis né orphelin et je mourrai orphelin » 
                                       
                                          Les jours passent et ma réponse prend lentement forme sur le papier. Je cherche mes mots, je choisis des phrases simples avec le souci de ne pas heurter la sensibilité de cet homme qui s’accroche dans la dernière ligne droite de sa vie, à une brindille. Je creuse, je rature, je reformule pour ne pas heurter de front le but de cette fin de non recevoir. Je termine ma lettre. Je brode  des formules douces, amicales qui visent à apaiser une ardeur enflammée d’un homme de 91 ans, perdu dans sa solitude et s’accrochant à un mirage. 
                                        
                                         Je suis triste, je ne sais pas comment tendre la main là où le moyen est incompatible. Je poste ma lettre en formulant le vœu d’une bonne réception.

                                              Mon quotidien reprend ses droits. Les jours se succèdent et mes pensées s’envolent régulièrement vers l’auteur de la lettre bleue. Comment as t-il encaissé ma réponse ? S’est-il ressaisi de ses espoirs impossibles ? S’est il fait une raison d’une simple amitié ? 

                                              Un matin, quand on y pense le moins, le facteur apporte la réponse. Un épaisse enveloppe et un mot rageur : « Alors que j’avais prévu d’encadrer toutes ces cartes venant de votre part et les mettre en la meilleure place dans ma maison, je vous les rends. Elle n’ont plus aucune raison d’être chez moi »… 
                                      Je ne sais plus, je ne me souviens plus de ses phrases pleines de colère et exprimant tant de déceptions. Ébahie et triste à la fois, Je réalise le caractère possessif et le désarroi de cet homme à qui, par honnêteté, je n’ai pas pu être ni sa famille, ni son enfant. Il restera à jamais orphelin, monsieur Racine.  
                                        
                                                                                                                                 Salwa-Eïdo-Mollon
                                                                                                                                    9, janvier 2022